top of page
Sans titre(120).png

POURQUOI

NE

TRAITONS-NOUS

PAS

LE

CANCER

PSYCHOLOGIQUE

 

L. Poenaru

 

La psychothérapie, traditionnellement axée sur le soulagement de la détresse psychologique individuelle, rencontre des difficultés significatives pour aborder les contextes sociaux et culturels plus larges qui influencent la santé mentale. Cette limitation provient de l'accent mis par cette discipline sur la gestion des symptômes plutôt que sur l’affrontement des codes économiques internes et des racines systémiques de ces symptômes, tels que le consumérisme, le matérialisme et la "guerre économique" à laquelle de nombreuses personnes se retrouvent confrontées. Ces problèmes systémiques agissent souvent comme une sorte de "cancer psychologique", profondément enraciné dans l'inconscient collectif et internalisé sous forme de croyances et de valeurs personnelles. Le fait de ne pas aborder ces facteurs limite non seulement l'efficacité de la psychothérapie, mais risque également de perpétuer les structures sociales mêmes qui contribuent à la détresse psychologique.

En ne tenant pas compte de ces contextes, la psychothérapie risque de ne traiter que les symptômes de la détresse, plutôt que les "cancers" sociaux sous-jacents tels que les inégalités économiques, le racisme systémique ou les pressions culturelles et économiques. Les psychothérapeutes, comme leurs patients, évoluent dans une culture profondément influencée par le consumérisme et le matérialisme. Cela conduit à une normalisation de ces normes culturelles, où l'accent est mis sur l'aide aux individus pour qu'ils s'adaptent aux attentes de la société et à ses codes économiques, plutôt que de remettre en question ces derniers. Cette normalisation renforce l'idée que la valeur personnelle est liée au succès matériel et à la productivité, perpétuant ainsi le stress et l'insatisfaction associés à ces valeurs. Comme le rappelle Fromm (2010/1991), la vision dominante de la pathologie, qui se concentre sur l'incapacité de l'individu à s'adapter aux schémas de comportement et aux modes de vie établis dans la société, est en réalité fondamentalement erronée. Nous constatons que la psychopathologie peut, comme le suggère Fromm, être une réaction à un contexte anormal, voire à une société profondément malade.

L'accent mis sur la responsabilité individuelle en psychothérapie, bien qu'augmentant l’estime de soi, néglige les contraintes structurelles qui limitent l'agentivité individuelle. En se concentrant sur le changement individuel et l'adaptation, la thérapie place involontairement la responsabilité du bien-être sur l'individu, en ignorant la manière dont des problèmes systémiques tels que les inégalités économiques ou l'insécurité de l'emploi contribuent aux problèmes de santé mentale. Cela entraîne un sentiment permanent d'échec ou d'auto-culpabilisation chez les patients, qui peuvent se sentir inadéquats lorsqu'ils ne parviennent pas à répondre aux attentes de la société. En encourageant les individus à s'adapter aux conditions sociales existantes, la psychothérapie renforce ainsi le statu quo.

Cette adaptation se concentre sur le soulagement des symptômes et les stratégies de gestion personnelle, plutôt que de remettre en question les forces sociales plus larges qui contribuent à la souffrance et aux maladies. Ce faisant, la thérapie devient complice du maintien des dynamiques de pouvoir et des normes sociales existantes qui privilégient la production économique au détriment du bien-être humain.

De nombreuses approches thérapeutiques, y compris la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et la psychanalyse, sont efficaces pour la gestion des symptômes et l’élaboration du vécu subjectif, mais peuvent ne pas aborder les problèmes culturels et sociaux plus profonds, et surtout les codes économiques responsables des maladies mentales (Brown, 2021). Cela implique qu'au-delà des structures sociales et économiques visibles, il existe des croyances, des valeurs et des hypothèses profondément ancrées et internalisées — ces "codes économiques internes" — qui influencent la manière dont les individus pensent, ressentent et se comportent dans le cadre de l'ordre économique plus large.

Ces approches privilégient donc des solutions rapides et des résultats mesurables, s'alignant avec les valeurs néolibérales d'efficacité et de productivité. Bien qu'utiles à court terme ou même à long terme, elles peuvent ne pas fournir la profondeur nécessaire pour s'attaquer aux causes profondes d’une souffrance très probablement ancrées dans les structures économiques et sociales. Cette focalisation perpétue un niveau superficiel de guérison, maintenant les individus dans un état de dissonance cognitive, où ils parviennent à fonctionner dans un système malsain sans aborder, à la fois philosophiquement et cliniquement, les incongruités et les conflits plus profonds entre leurs expériences vécues et les réalités économiques sous-jacentes. En conséquence, les individus continuent de s'adapter et de supporter ces structures néfastes, plutôt que de les questionner ou de les transformer, consolidant ainsi davantage le statu quo et empêchant tout changement systémique significatif pour les individus et les sociétés.

Les modèles thérapeutiques qui intègrent des facteurs sociaux, tels que la thérapie queer ou la psychologie de la libération (Montero & Sonn, 2009), ne sont pas largement pratiqués. Par conséquent, de nombreux thérapeutes manquent de formation ou de cadres nécessaires pour aborder l'impact des structures sociales et économiques sur la santé mentale. Cette lacune limite la capacité de la psychothérapie à favoriser une véritable guérison et transformation sociale.

 

IMPACTS SUR LES VIES ET LES FAMILLES

Les codes économiques internalisés — tels que la poursuite incessante du succès, l'équation de la valeur personnelle avec la richesse matérielle, et la glorification de l'individualisme et de la compétition — fonctionnent comme un cancer, érodant progressivement la santé mentale, les relations et le bien-être communautaire. Le cancer psychologique économique favorise une culture de stress chronique et d'anxiété, où les individus sont constamment sous pression pour réussir, se battre et accumuler des richesses. Les exigences liées au maintien d'un certain style de vie, l'insécurité de l'emploi et la peur de l'échec économique et de l’exclusion sociale créent un état de stress permanent. Ce stress chronique a des répercussions sur la santé mentale et physique, entraînant des troubles tels que l'anxiété, la dépression, l'hypertension, les maladies cardiaques, les maladies auto-immunes, l'inflammation chronique, les allergies, le syndrome métabolique, l'obésité, le diabète, le syndrome de l'intestin irritable (IBS) et les maladies inflammatoires de l'intestin (IBD), la polyarthrite rhumatoïde, le lupus, la sclérose en plaques et le cancer (Yann, 2016).

De plus, dans cette "guerre économique" omniprésente, les individus peuvent ressentir un épuisement professionnel, une fatigue émotionnelle et un sentiment de désespoir en cherchant à répondre à des attentes économiques et sociales irréalistes. Par exemple, selon la Tribune de Genève (4.9.2024) :

Plus des deux tiers de la population suisse se sentent fatigués et épuisés, selon une étude mandatée par la caisse maladie CSS. Seules 15% des personnes interrogées estiment que leur état de santé est très bon. Il s’agit de la valeur la plus basse depuis le lancement de cette enquête en mars 2020, écrit mardi la caisse maladie dans un communiqué. De ce cinquième sondage, il ressort également que 35% de la population se sentent malades ou pas complètement en bonne santé. Toutes catégories d’âge confondues, 68% des personnes interrogées se sentent souvent épuisées et fatiguées. Il s’agit pour ainsi dire de la « nouvelle pandémie », note la CSS. Les 18-35 ans sont ceux qui perçoivent le plus négativement la pression liée à la performance. Trois quarts d’entre eux ont l’impression de devoir toujours être en bonne santé et performants, ce qui se traduit par un épuisement persistant. Et de plus en plus de personnes font l’expérience d’un burn-out.

 

La pression constante pour réussir peut entraîner des troubles du sommeil, de l'irritabilité et une incapacité à se détendre, rendant difficile de trouver de la joie ou de l'épanouissement dans la vie quotidienne. Le stress chronique affecte également la dynamique familiale, conduisant à des tensions, des conflits et des ruptures de communication, tandis que les parents surmenés et stressés ont moins de temps et d'énergie émotionnelle à consacrer à leurs enfants, entraînant négligence ou relations tendues. Les enfants peuvent aussi ressentir la pression de réussir et d'atteindre des objectifs, ce qui peut provoquer du stress et de l'anxiété dès leur plus jeune âge.

Le cancer psychologique économique favorise une culture de l'individualisme et de la compétition, qui peut considérablement nuire aux relations et aux connexions sociales. Lorsque les individus commencent à percevoir les autres principalement comme des concurrents ou des obstacles à leur propre réussite, il devient de plus en plus difficile de nouer des relations significatives et de soutien. L'accent excessif mis sur l'autosuffisance et la réussite personnelle peut créer un environnement où la confiance et l'empathie font défaut dans les relations. Les individus sont ainsi plus enclins à privilégier leur propre succès au détriment du bien-être des autres, ce qui entraîne des comportements égoïstes et un manque de soutien mutuel. Cette érosion de la confiance rend les relations plus transactionnelles, dépourvues du soin et du soutien authentiques qui sont essentiels à des connexions profondes et significatives.

De plus, l'accent constant mis sur la réussite individuelle peut conduire à l'isolement social, car les gens consacrent souvent plus de temps au travail et moins de temps à s'engager dans des activités sociales ou à tisser des liens au sein de leurs communautés. Cet isolement croissant peut contribuer à des sentiments de solitude et de déconnexion, qui sont fortement liés à la dépression et à d'autres problèmes de santé mentale (Leigh-Hunt et al., 2017). Les effets combinés de la diminution de la confiance, de l'isolement social et d'une mentalité de compétition créent un environnement social dans lequel les individus peuvent avoir du mal à trouver le soutien et les liens nécessaires à leur bien-être émotionnel, perpétuant ainsi un cycle de solitude et de détresse psychologique.

Ce contexte contribue également aux tensions financières et à l'insécurité économique en promouvant le consumérisme, le matérialisme et la poursuite de la richesse. La croyance selon laquelle le bonheur et le succès sont liés aux possessions matérielles pousse les individus et les familles à privilégier la consommation, souvent au-delà de leurs moyens. Beaucoup s'endettent pour maintenir un certain style de vie, ce qui entraîne du stress financier et de l'insécurité. Le poids de la dette crée un sentiment constant de peur et d'anxiété, car les individus s'inquiètent de leur capacité à joindre les deux bouts, à payer leurs factures ou à épargner pour l'avenir (Jenkins, Fitch, Hurlston, Walker, 2009). Le stress financier est l'une des principales causes de conflits conjugaux et de divorces. Les couples peuvent se disputer au sujet de l'argent, se reprocher mutuellement les problèmes financiers ou ressentir du ressentiment en raison de priorités de dépenses divergentes.

L'insécurité économique affecte également le bien-être des enfants, entraînant du stress, de l'anxiété et un manque de stabilité à la maison (Zhang et al., 2022). Les effets du cancer psychologique économique ne se limitent pas à une seule génération ; ils peuvent être transmis aux générations futures, perpétuant les dommages et la dysfonction. Les parents qui ont internalisé les codes économiques transmettent ces valeurs à leurs enfants, leur apprenant que le succès se mesure à la richesse, au statut et à la réussite. Les enfants grandissent avec la pression de répondre à ces attentes. Le stress et l'insécurité économiques créent de cette manière un cycle de dysfonctionnement, dans lequel les enfants grandissent dans des environnements caractérisés par la tension, la peur, le conflit et l'instabilité. Cet environnement peut affecter la santé mentale des enfants, leur estime de soi et leur capacité à établir des relations saines, perpétuant le cycle de la souffrance.

Pour toutes ces raisons, le cancer psychologique économique n'a pas seulement des répercussions sur les individus et les familles au niveau personnel, mais il a également des implications de grande envergure pour le bien-être communautaire et social dans son ensemble. La pression incessante pour réussir, profondément enracinée dans cette mentalité économique, combinée aux problèmes omniprésents d'insécurité économique et d'isolement social, conduit souvent à un traumatisme émotionnel et psychologique profond. Le fardeau constant du stress, associé à la peur de l'échec et à l'absence d'un système de soutien fiable, génère un sentiment généralisé d'impuissance et de désespoir, affectant non seulement la santé mentale des individus, mais érodant également le tissu social dans son ensemble.

 

CANCER PSYCHOLOGIQUE

La métaphore des codes économiques internes comme un "cancer psychologique" capture la manière dont ces croyances et valeurs profondément enracinées nuisent insidieusement à la santé mentale, tout comme le cancer affecte le corps. Cette métaphore suggère que les codes économiques, une fois internalisés, se développent et se propagent, sapant le bien-être psychologique de l'intérieur. Les sociétés ont des récits culturels dominants qui définissent le succès, la valeur et l'identité. Dans de nombreuses sociétés capitalistes, le succès équivaut à la richesse, au statut et aux possessions matérielles. Dès leur plus jeune âge, les individus sont exposés à ces normes culturelles à travers les médias, l'éducation et les interactions sociales. Avec le temps, ces normes deviennent des croyances et des valeurs personnelles internalisées.

 

L'environnement économique dans lequel vivent les individus joue ainsi un rôle crucial dans la formation de leurs croyances et valeurs. Dans un système économique néolibéral (Crouch, 2017), qui met l'accent sur les solutions guidées par le marché, la responsabilité individuelle et l'intervention minimale de l'État, on pousse souvent les gens à croire qu'ils sont seuls responsables de leur succès ou échec économique. Cette croyance est renforcée par des politiques qui privilégient la croissance économique et l'efficacité au détriment du bien-être social et de l'équité.

Les familles, les écoles et les groupes de pairs sont essentiels pour socialiser les individus afin qu'ils acceptent et internalisent les normes sociales (Parsons, 2017). Les parents peuvent inculquer des croyances sur l'importance du travail acharné, de l'autosuffisance et de la compétition, tandis que les écoles récompensent souvent les réalisations académiques et parascolaires qui correspondent aux définitions sociétales du succès. La pression des pairs renforce également le désir de se conformer aux attentes sociales, amenant les individus à adopter des croyances et des valeurs similaires. De plus, les médias et la publicité jouent un rôle important dans la promotion et la perpétuation des codes économiques internes. Les publicités associent le bonheur et le succès aux possessions matérielles, tandis que les représentations médiatiques des individus à succès mettent généralement l'accent sur la richesse, le pouvoir et le statut social ; ces messages amènent les individus à internaliser l'idée que leur valeur est déterminée par ce qu'ils possèdent ou par la manière dont ils sont perçus par les autres (Neve, Trivedi, 2020).

Comme mentionné précédemment, ces codes économiques internes deviennent un cancer psychologique car ils ont des effets pernicieux et répandus sur la santé mentale et le bien-être. Tout comme le cancer se propage dans le corps sans être détecté, les codes économiques opèrent subtilement dans l'esprit. Ils façonnent les pensées, croyances et comportements des individus, sans que ces derniers en soient conscients. Ces codes influencent la manière dont les gens se perçoivent eux-mêmes, leurs relations et leur place dans le monde, s'infiltrant progressivement dans leur sens de l'identité et leur estime de soi.

Le cancer altère le fonctionnement normal des cellules, entraînant une croissance anormale. De la même manière, les codes économiques internes déforment la perception que l'individu a de la réalité. Ils créent des attentes et des pressions irréalistes, telles que la croyance que la valeur d'une personne est liée à son succès économique ou à sa productivité. Ces distorsions amènent les individus à privilégier le travail, la richesse et le statut par rapport à des aspects plus épanouissants et significatifs de la vie, tels que les relations, le développement personnel et la communauté.

Tout comme les cellules cancéreuses peuvent nuire au corps, les codes économiques internes peuvent entraîner des comportements autodestructeurs. Les gens peuvent adopter des comportements nuisibles, tels que le surmenage, la négligence des soins personnels ou la consommation compulsive voire les autoagressions (comme les jeunes filles utilisatrices d’Instagram), dans le but de se conformer à ces normes internalisées ou d’attaquer des codes devenus insupportables. Le cancer attaque la capacité du corps à fonctionner sainement. De la même manière, les codes économiques internes compromettent la capacité d'une personne à vivre de manière authentique et à trouver du sens à sa vie. En internalisant ces codes, les individus perdent le contact avec leur véritable identité, poursuivant des objectifs et des aspirations qui ne correspondent pas à leurs valeurs ou désirs. Cette déconnexion de soi entraîne un sentiment de vide, de manque de sens et de désespoir existentiel.

Comme le cancer qui peut se propager à d'autres parties du corps, les codes économiques internes contribuent à la perpétuation des injustices sociales. Lorsque les individus internalisent des croyances sur la compétition, l'autosuffisance et la méritocratie, ils sont moins enclins à reconnaître ou à remettre en question les inégalités systémiques. Cette internalisation amène les gens à accepter les hiérarchies sociales, la discrimination et l'exploitation, car ils en viennent à considérer ces conditions comme naturelles ou méritées.

 

ÉCHEC À TRAITER LE CANCER PSYCHOLOGIQUE EN PSYCHOTHÉRAPIE

Les psychothérapeutes, bien qu'habiles à traiter les problèmes psychologiques individuels et à promouvoir la santé mentale, se heurtent à des obstacles pour aborder les pièges sociaux et culturels plus larges du consumérisme, du matérialisme et de la "guerre économique". La psychothérapie se concentre traditionnellement sur les expériences, émotions et comportements internes de l’individu. Bien que cette approche soit efficace pour traiter la détresse psychologique personnelle, elle ne parvient pas à s’attaquer aux facteurs sociaux et culturels qui contribuent à cette souffrance. La thérapie vise à aider les individus à faire face à leurs problèmes immédiats, tels que l'anxiété, la dépression ou les problèmes relationnels. Ces problèmes sont fréquemment traités dans le contexte de la vie personnelle de l'individu, sans nécessairement explorer les influences sociales plus larges ainsi que les effets des codes intériorisés. L'accent est mis sur l'aide à l'individu pour qu'il gère ses symptômes, plutôt que de remettre en question les structures sociales qui peuvent contribuer à ces symptômes.

La psychothérapie n'intègre donc pas une analyse critique des facteurs sociaux tels que le consumérisme, le capitalisme ou l'inégalité économique, et le cancer psychologique qui peut résulter de ces influences. Sans cette analyse, les thérapeutes ne parviennent pas à reconnaître comment ces facteurs contribuent aux sentiments d'insatisfaction, de vide, de culpabilité ou à d'autres problèmes mentaux et physiques de leurs patients. Cela limite la capacité du thérapeute à s’attaquer aux causes profondes de la détresse du patient, conduisant à une focalisation sur la gestion des symptômes plutôt que sur un changement systémique, à la fois interne et externe.

Le consumérisme et le matérialisme sont profondément enracinés dans la société moderne et considérés comme normaux et acceptables. Les psychothérapeutes, tout comme leurs patients, vivent dans ce contexte culturel et acceptent ou perpétuent inconsciemment ces normes. Les thérapeutes, en tant que membres de la société, sont influencés par la culture de consommation. Sans une compréhension critique des influences culturelles, les thérapeutes peuvent ne pas reconnaître dans quelle mesure le consumérisme contribue à la détresse et à la maladie de leurs clients. McWilliams (2005) observe que la psychothérapie subit d’importants changements en raison de l'influence des diagnostics psychiatriques descriptifs, des pressions exercées par des entités commerciales puissantes et des réflexions menées principalement par des psychologues universitaires. Ces forces poussent la psychothérapie à se conformer aux normes sociales, risquant ainsi de perdre son rôle de participant réflexif et critique au sein de la culture.

Dans ce contexte, la thérapie renforce les normes culturelles en se concentrant sur l'aide apportée aux clients pour qu'ils s'adaptent aux attentes de la société, plutôt que de remettre en question ces attentes. Un thérapeute pourrait aider un patient à faire face au stress lié au travail en abordant de diverses manières la question plus large d'une culture axée sur la consommation qui valorise la productivité et la consommation au détriment du bien-être.

En se concentrant sur la responsabilité personnelle, la thérapie place le fardeau du changement sur les individus, sans reconnaître les limites imposées par les structures sociales et économiques. Les clients se sentent donc responsables de leur incapacité à trouver le bonheur ou l'épanouissement, même lorsque ces sentiments sont influencés par des problèmes systémiques tels que le consumérisme et l'aliénation qui restent inconscients. L'accent mis sur la responsabilité personnelle peut involontairement conduire à blâmer les individus pour leurs problèmes, plutôt qu’à reconnaître le rôle des facteurs externes. Cette approche renforce les sentiments de culpabilité ou d'insuffisance, rendant difficile pour les patients de voir comment les pressions socio-économiques contribuent à leur souffrance.

Les patients consultent généralement un thérapeute pour des problèmes spécifiques, tels que la gestion de l'anxiété, l'amélioration des relations ou la gestion du stress. Ces objectifs sont immédiats et personnels, axés sur le soulagement des symptômes plutôt que sur une analyse plus large de la société. Confrontés à ces problèmes, les thérapeutes sont formés pour prioriser ces objectifs afin de répondre aux besoins et aux attentes du patient, sans nécessairement aborder les facteurs sociaux sous-jacents. Dans une société rapide et axée sur la consommation, il existe un désir de solutions rapides ou d'un soulagement immédiat. Les clients recherchent des solutions rapides à leurs problèmes en thérapie, plutôt que de s'engager dans un travail plus profond et plus long qui consiste à explorer les influences sociales et à remettre en question les normes culturelles. Ce désir de solutions rapides limite la portée de la thérapie à une gestion à court terme des symptômes.

Bien que la thérapie puisse aider les individus à développer des stratégies d'adaptation et des aperçus personnels, elle peut, pour les raisons mentionnées, ne pas être suffisante pour s'attaquer aux forces sociales plus larges qui contribuent à la détresse. Le changement systémique nécessite également une action collective, des changements politiques et une transformation sociétale, qui dépassent la portée de la thérapie individuelle.

Il est donc possible que la psychothérapie se concentre sur la gestion des symptômes individuels sans aborder les problèmes systémiques et structurels sous-jacents qui contribuent aux problèmes de santé mentale. Cela peut en effet maintenir les patients dans un cycle de gestion des symptômes plutôt que dans un processus de changement durable, ce qui soulève des questions sur la durabilité et l'efficacité de telles pratiques thérapeutiques.

 

POLITIQUES CONTRE LA SANTÉ PUBLIQUE ?

D'un point de vue critique, il peut être suggéré que les intérêts des classes dominantes — celles qui détiennent le pouvoir économique, politique et social — entrent souvent en conflit avec les intérêts de la population en général, notamment lorsqu'il s'agit de promouvoir un changement systémique qui pourrait réduire les inégalités, remettre en question le consumérisme ou lutter contre la dégradation de l'environnement et de la société.

Les classes dominantes bénéficient des structures sociales, économiques et politiques existantes, ce qui peut créer une résistance au changement. Ces structures maintiennent leur pouvoir, leur richesse et leur influence, qu'elles peuvent percevoir comme étant menacées par des changements transformateurs et radicaux. Les classes économiques dominantes, y compris les grandes entreprises et les individus fortunés, profitent, comme nous le savons, du consumérisme et de l'inégalité économique. La culture de consommation génère une demande de biens et de services, ce qui se traduit par des bénéfices pour les entreprises. Les efforts visant à réduire la consommation, à promouvoir la durabilité ou à lutter contre l'inégalité économique peuvent être perçus comme une menace pour ces bénéfices. Par conséquent, les acteurs économiques dominants résistent aux changements qui perturbent leurs modèles économiques ou réduisent leur richesse.

Les classes dominantes, qui détiennent le pouvoir économique, exercent souvent une influence politique considérable, qu'elles utilisent de manière stratégique pour façonner les politiques et les règlements dans un sens qui sert leurs intérêts. Cette influence importante conduit fréquemment à des politiques qui privilégient la croissance économique, la déréglementation et la liberté des marchés, souvent au détriment de l'équité sociale, de la protection de l'environnement ou de la santé publique. Grâce à des mécanismes tels que le lobbying politique, les contributions importantes aux campagnes électorales et d'autres formes d'influence, les classes dominantes façonnent considérablement l'agenda politique, rendant ainsi difficile la mise en œuvre de changements systémiques contraires à leurs intérêts.

En outre, les classes dominantes exercent leur pouvoir en façonnant les normes et les valeurs culturelles à travers divers canaux, y compris les médias, l'éducation et d'autres institutions culturelles. En promouvant constamment des valeurs telles que le consumérisme, l'individualisme et la compétition, elles renforcent non seulement le statu quo, mais découragent également l'émergence de perspectives alternatives. Cette influence culturelle omniprésente rend difficile pour les individus d'envisager ou de promouvoir des modes de vie alternatifs qui privilégient la communauté, la durabilité et le bien-être global, perpétuant ainsi un cycle qui favorise les intérêts des puissants économiquement.

Les mêmes classes contrôlent également la circulation de l'information et les récits qui façonnent la compréhension et l'opinion publiques (Van Dijk, 1995 ; Gutsche, 2015). En contrôlant les récits, elles influencent la manière dont les gens perçoivent les problèmes sociétaux et les solutions potentielles. Les médias, souvent possédés ou influencés par les classes dominantes, jouent un rôle significatif dans la formation de l'opinion publique. Les médias peuvent donner la priorité aux histoires qui correspondent aux intérêts des classes dominantes, tout en minimisant ou en ignorant les questions qui remettent en cause ces intérêts. Cette couverture sélective crée une compréhension biaisée des problèmes sociaux, ce qui rend difficile pour le public de voir la nécessité d'un changement systémique.

Les classes dominantes utilisent également des cadres de pensée et des messages pour façonner la compréhension des problèmes. Par exemple, la croissance économique est souvent présentée comme un bien incontestable, tandis que les programmes de protection sociale sont dépeints comme étant coûteux ou inefficaces. De plus, la diffusion de fausses informations ou de désinformation crée de la confusion et des divisions, rendant difficile la formation d'un consensus autour de la nécessité de changer. En semant le doute sur des questions telles que le changement climatique, l'inégalité sociale ou l'impact du consumérisme, les classes dominantes sapent les efforts pour traiter ces questions.

Le décalage entre le discours sociétal promouvant la santé et le bien-être et la réalité des structures systémiques qui sapent souvent ces objectifs est flagrant. Bien que la société semble valoriser et promouvoir la santé — à travers des campagnes de santé publique, des initiatives de sensibilisation à la santé mentale et des programmes de bien-être —, il existe des forces structurelles et systémiques profondes qui contredisent ces idéaux. Ce décalage découle du conflit entre les intérêts économiques et de pouvoir et le bien-être authentique des individus et des communautés.

 

NOUS DEVONS TRAITER LES CODES ÉCONOMIQUES INTERNES

Notre approche implique qu'au-delà des structures sociales et économiques visibles, il existe des croyances, des valeurs et des hypothèses profondément enracinées et internalisées — les "codes économiques internes" — qui influencent la manière dont les individus pensent, ressentent et se comportent dans le contexte de l'ordre économique plus large. Ces codes internes façonnent la compréhension que les gens ont du succès, de la valeur et de l'identité, souvent d'une manière qui s'aligne sur les structures économiques et de pouvoir existantes et les renforce.

Les codes économiques internes se réfèrent aux cadres mentaux et aux récits que les individus internalisent à partir de leur environnement économique et culturel. Ces codes sont, nous l’avons vu, façonnés par les messages sociétaux sur le succès, la valeur, la productivité et l'estime de soi, souvent dérivés de l'idéologie économique dominante — telle que le néolibéralisme — qui met l'accent sur l'individualisme, la compétition et les valeurs dictées par le marché. Dans de nombreuses sociétés, particulièrement celles influencées par des idéologies néolibérales, il existe un fort accent sur la réussite individuelle, l'autosuffisance et la responsabilité personnelle. Les gens sont souvent encouragés à se percevoir comme des agents indépendants, seuls responsables de leur succès ou de leur échec. Cette perspective peut entraîner de l'autoculpabilisation et des sentiments d'inadéquation lorsque les individus rencontrent des difficultés économiques ou échouent à répondre aux attentes de la société.

Dans un système économique qui valorise la compétition, les individus sont incités à se comparer constamment aux autres. Le succès est souvent défini par rapport aux réalisations des autres, ce qui conduit à une mentalité de somme nulle où le gain de l'un est la perte de l'autre. Cela peut encourager l'envie, la rivalité et un sentiment d'isolement, car les gens voient les autres comme des menaces plutôt que comme des collaborateurs.

Les codes économiques internes ont, il paraît évident, un impact profond sur la santé mentale. En internalisant ces codes, les individus peuvent ressentir une gamme d'émotions et de comportements négatifs, tels que l'anxiété, la dépression, une faible estime de soi et une quête incessante de la perfection. Ces codes conduisent également à une déconnexion de soi, car les gens s'efforcent de se conformer aux attentes externes plutôt que de poursuivre leurs véritables passions et valeurs.

Pour "traiter" les codes économiques internes, la thérapie doit aller au-delà de la gestion des symptômes pour explorer et remettre en question les croyances et hypothèses sous-jacentes que les individus ont internalisées. La thérapie peut offrir un espace aux individus pour réfléchir de manière critique aux croyances et valeurs économiques qu'ils ont internalisées. En examinant d'où viennent ces croyances, comment elles impactent leur vie et si elles sont réellement alignées avec leurs valeurs et celles de la civilisation, les individus peuvent acquérir une plus grande conscience de soi et des perspectives nouvelles. Les thérapeutes peuvent faciliter ce processus en posant des questions profondes et en encourageant les clients à remettre en question les normes et attentes sociales ainsi que les comportements qui en découlent.

Traiter les codes économiques internes implique également d'aider les individus à développer de nouveaux récits plus sains sur la réussite, la valeur et l'identité. Cela peut inclure la redéfinition du succès en termes de croissance personnelle, de relations et de bien-être, plutôt que d'accomplissements matériels ou de statut économique. En cultivant des récits alternatifs, les individus peuvent commencer à se voir eux-mêmes et à envisager leur vie de manière nouvelle et plus épanouissante. La thérapie peut également insister sur l'importance de la communauté, de la connexion et du soutien mutuel. En reconnaissant que le bien-être n'est pas seulement une quête individuelle, mais aussi collective, les individus peuvent commencer à passer d'un état d'esprit compétitif et individualiste qui détruit les liens et la société à une vision qui valorise la collaboration, l'empathie et la solidarité. La thérapie de groupe, les interventions communautaires et les réseaux de soutien par les pairs peuvent tous jouer un rôle dans le renforcement de ces connexions.

 

Enfin, la thérapie peut donner aux individus les moyens d'agir contre les conditions sociétales qui contribuent à leur détresse. Cela pourrait inclure l'engagement pour la justice sociale, la participation à des actions militantes ou le travail en faveur du changement systémique. En reliant les luttes personnelles aux problèmes sociaux plus larges, les individus peuvent trouver du sens et un but en travaillant pour un monde plus juste et équitable.

 

RÉFÉRENCES

Brown, C. (2021). Critical Clinical Social Work and the Neoliberal Constraints on Social Justice in Mental Health. Research on Social Work Practice, 31(6), 644-652.

Crouch, C. (2017). Can neoliberalism be saved from itself? Polity Press. Cambridge, UK.

Fromm, E. (2010/1991). The Pathology of Normalcy. Riverdale, NY: AMHF.

Gutsche, R. E., Jr. (2015). Media control: News as an institution of power and social control. Bloomsbury Academic.

Jenkins, R., Fitch, C., Hurlston, M., & Walker, F. (2009). Recession, debt and mental health: Challenges and solutions. Mental Health in Family Medicine, 6(2), 85-90.

Leigh-Hunt, N., Bagguley, D., Bash, K., Turner, V., Turnbull, S., Valtorta, N., & Caan, W. (2017). An overview of systematic reviews on the public health consequences of social isolation and loneliness. Public Health, 152, 157-171.

McWilliams, N. (2005). Preserving Our Humanity as Therapists. Psychotherapy: Theory, Research, Practice, Training, 42(2), 139–151.

Montero, M., Sonn, C. S. (2009). Psychology of Liberation: Theory and Applications. New York: Springer.

Neve, M., & Trivedi, R. (2020). Materialism and media usage: To study the role of media in increasing materialism among youths with special reference to social media exposure. International Journal of Advanced Science and Technology, 29(8s), 2431-2436.

Parsons, T. (2017). The school class as a social system: Some of its functions in American society. In Exploring education (5th ed., p. 14). Routledge.

Van Dijk, T. A. (1995). Power and the news media. In Political communication and action. University of Amsterdam. Retrieved from: https://www.academia.edu/download/43877219/Power_and_the_news_media_CRUCIAL.pdf

Yan, Q. (2016). Psychoneuroimmunology. New York: Springer.

Zhang, L., Shimizu, R., Zhang, Y., & Simmel, C. (2022). Early childhood income instability, food insecurity, and adolescents' behavioral health. Family Relations.

BLACK_2LIGNEsS_HAUT_BAS_BRUIT.png
bottom of page